Professeur à Sciences Po, spécialiste des questions européennes, Patrick Martin-Genier était l’invité de Good Morning Business pour discuter des décisions occidentales à l’égard de la Russie.
Les sanctions à l’égard de la Russie affecteront-elles vraiment le Kremlin? Alors que l’Union Européenne a adopté un premier train de sanctions économiques pour punir le régime russe après son offensive en Ukraine, leur efficacité est remise en question. Pour Patrick Martin-Genier, certaines sanctions pourraient se réveler utiles, notamment concernant l’accès aux marchés financiers :
Il est difficile de calibrer des sanctions financières, mais le fait d’interdire de lever des fonds sur les marchés internationaux comme à la City de Londres, cela risque d’avoir un effet », a-t-il estimé sur BFM Business.
Les 27 avaient notamment décidé de cibler les banques russes finançant les activités militaires en Ukraine, de couper l’accès aux financements européens, ou encore de suspendre les avoirs des députés russes ayant voté le texte instituant la percée dans les républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borell, promettant que ces sanctions « feraient très mal à la Russie ».
Mais des doutes ont émergé sur la perspicacité de ces mesures, notamment concernant la probable exclusion russe du système de paiement international Swift, déjà contourné par l’Iran, ou l’interdiction du recours au dollar. Comme l’explique Patrick Martin-Genier, la Russie a les moyens d’en réchapper :
La Russie est un sous-continent sur le plan géostratégique, elle a ses propres ressources. Elle a passé un accord avec la Chine, et leurs transactions ne sont pas libellées en dollars, l’exclusion de Swift ne sera donc pas très importante », relativise le chercheur.Codépendance et manque d’alternative
En outre, le spécialiste des questions européennes appuie l’idée d’une codépendance des économies européennes et russe :
« L’Allemagne importe 60% au moins du gaz naturel, Olaf Scholz a surtout subi une forte pression de la part de Joe Biden concernant la suspension de Nordstream 2. Et l’exportation de gaz vers l’Europe, c’est 15% du PIB russe. Ils n’ont pas non plus intérêt à nous couper le gaz ou à avoir des conflits prolongés avec l’Europe. »
En France, Bruno Le Maire s’est montré rassurant concernant les effets des sanctions, estimant devant le Sénat que l’économie est « peu exposée » à la Russie, et garantissant son soutien aux entreprises présentes à Moscou.
Mais le secteur agricole devrait bien pâtir des mesures, comme le craint la FNSEA, et comme le confirme Patrick Martin-Genier.
« Les agriculteurs et l’agroalimentaire vont subir des mesures de rétorsion. Après 2014, le boycott avait eu un effet économique très néfaste pour l’agriculture française », indique-t-il.
L’instabilité géopolitique a déjà fait grimper les prix des matières premières, soutenant paradoxalement le régime moscovite, premier exportateur mondial de blé.
Reste que, comme le conclut Patrick Martin-Genier, les solutions n’étaient pas légion face à Vladimir Poutine : « Il n’y avait pas d’alternative, l’OTAN n’interviendra pas, il n’y aura pas un soldat américain. Seules des sanctions économiques dissuasives auront un effet sur l’économie russe. »
Le risque, pour lui, repose désormais sur un éventuel « accident », notamment si le conflit entre l’Ukraine et la Russie se déplaçait jusqu’en Pologne.